Pour le pharmacien d’officine, dont le rôle clinique est de mieux en mieux outillé et reconnu, l’art officinal ne se résume pas à déchiffrer une ordonnance. Il s’agit de comprendre un patient dans son ensemble, de l’accompagner tout au long de son parcours de soins et de l’aider, autant que possible, à ne pas tomber malade. L’essor de la biologie fonctionnelle ou préventive fournit dans ce contexte des axes de compréhension majeurs. Elle place, comme la santé intégrative (voir l’interview de Florian Petitjean), le patient au cœur des pratiques professionnelles et ouvre le champ des possibles pour la santé de demain.
La biologie fonctionnelle est une approche innovante et sous-estimée dans le domaine de la santé. Elle se distingue de la biologie conventionnelle par son analyse approfondie des biomarqueurs qui renseignent sur l’état cellulaire, tissulaire et organique de la personne. Visant une santé prédictive, préventive, personnalisée, elle permet de comprendre les dysfonctionnements sous-jacents à des maladies chroniques avant leur manifestation clinique.
Rendre visible des paramètres ignorés
Contrairement aux analyses classiques, qui se concentrent sur des résultats immédiats, la biologie fonctionnelle explore en profondeur des paramètres comme le stress oxydatif, l’inflammation de bas grade, la résistance à l’insuline, ou encore l’hyperperméabilité intestinale et les dysfonctionnements mitochondriaux. Ces facteurs, souvent invisibles dans les bilans conventionnels, sont cruciaux pour comprendre l’environnement dans lequel nos fonctions physiologiques évoluent. Les dérèglements ainsi identifiés, tels que ceux à l’origine du vieillissement cellulaire ou des maladies chroniques (stress chronique, insomnies, troubles métaboliques, maladies cardiovasculaires), peuvent être corrigés via la médecine fonctionnelle, une discipline complémentaire de la biologie fonctionnelle. La médecine fonctionnelle se concentre sur l’équilibre des micronutriments (vitamines, minéraux, oligo-éléments, acides gras), essentiels à la santé.
Le Dr Nicolas Dedieu, Docteur en pharmacie et praticien en médecine fonctionnelle, souligne l’importance d’aller au-delà des analyses superficielles : des bilans « normaux » peuvent masquer des déséquilibres qui, sans intervention préventive, évoluent vers des maladies chroniques. La biologie fonctionnelle confère une vision proactive et approfondie de la santé.
Des liens étroits avec les pratiques de santé intégrative
La santé intégrative partage les principes de la biologie fonctionnelle, en plaçant le patient au centre de la démarche. Cette approche holistique combine médecine conventionnelle et approches complémentaires comme la micronutrition, la phytothérapie, l’aromathérapie et les pratiques psychocorporelles, dans le but de traiter la personne dans son ensemble, et non de se limiter aux symptômes isolés. La personnalisation des soins est essentielle : chaque patient a des besoins nutritionnels et des paramètres biologiques spécifiques. La santé intégrative, en conjonction avec la biologie fonctionnelle, permet donc une prise en charge préventive, personnalisée et complète, favorisant un bien-être durable. La biologie fonctionnelle s'intègre parfaitement à cette philosophie, car elle analyse le fonctionnement global du corps pour détecter les déséquilibres avant qu'ils ne deviennent des maladies.
Des freins à l’adoption…
Le système de santé français ne favorise pas encore l’adoption généralisée de la biologie fonctionnelle et des approches préventives, malgré leurs bénéfices potentiels en termes de santé publique et de réduction des coûts à long terme. Il existe plusieurs raisons à cela : d’une part, le système de santé français est historiquement basé sur une approche curative, qui repose sur la gestion des symptômes et des maladies une fois qu’elles se sont manifestées. Ce modèle est ancré dans les pratiques médicales, la formation des professionnels de santé et le remboursement des soins. Ensuite, la biologie fonctionnelle et la médecine préventive ne sont pas encore remboursées par l’Assurance Maladie, en raison notamment du manque de reconnaissance officielle de ces pratiques par les instances médicales et scientifiques conventionnelles. Il manque encore des études de grande ampleur et des essais cliniques rigoureux pour prouver de façon indiscutable leur efficacité à long terme. De plus, la formation médicale en France reste largement concentrée sur la médecine curative et l’approche symptomatique.
À ces freins s’ajoutent les coûts initiaux générés par les analyses de biologie fonctionnelle, plus complexes (des coûts cependant compensés par les économies à long terme), le besoin d’adapter les structures de soins ou encore la résistance de l’industrie pharmaceutique, dont le modèle économique est aujourd’hui largement centré sur le traitement des maladies chroniques à partir de médicaments.
… mais des leviers à activer
Alors, comment bénéficier des nombreuses promesses de la biologie fonctionnelle en termes de santé préventive ? Un virage vers cette approche pourrait tout à fait s'accélérer si les pouvoirs publics s’engageaient à repenser l’architecture du système de santé autour de la prévention plutôt que du seul soin curatif.Pour que la biologie fonctionnelle et les pratiques préventives deviennent centrales dans notre système de santé, plusieurs leviers devraient être activés :
1. Former les médecins et les praticiens à cette approche permettrait de mieux comprendre et d’exploiter les analyses fonctionnelles en complément des diagnostics classiques.
2. Intégrer la biologie fonctionnelle dans le parcours de soin remboursé permettrait à un plus grand nombre de patients de bénéficier de bilans approfondis, évitant ainsi l’apparition de maladies chroniques plus coûteuses à long terme.
3. Informer les patients sur les bienfaits de la prévention via la biologie fonctionnelle serait un puissant moteur pour encourager l’adoption de ces pratiques.
4. Encourager la recherche publique et privée dans ce domaine pour prouver l’efficacité à long terme de la biologie fonctionnelle permettrait de légitimer et de promouvoir cette pratique innovante.
L’adoption généralisée de la biologie fonctionnelle et des pratiques de santé intégrative pourrait ainsi considérablement alléger le fardeau économique pesant sur notre système de santé, tout en améliorant la qualité de vie des patients à long terme.
Références : Dr Nicolas Dedieu https://www.linkedin.com/in/dr-nicolas-dedieu-4287a8169/ ; Dr Juliette Mellentin https://juliettemellentin.fr/ ; https://www.sante-et-nutrition.com/la-biologie-fonctionnelle/