À la question « stop ou encore ? » devrait se substituer une interrogation plus fondamentale sur les nouvelles missions : comment donner toute sa valeur à l’acte officinal ? Une valeur à réinventer et à défendre pour exister demain.
Dans sa déclaration de politique générale le 1er octobre, le Premier ministre Michel Barnier s’est dit favorable à un nouvel élargissement du rôle des pharmaciens. Cette annonce n’est certainement pas le fruit d’une libéralité excessive, contrastant avec l’avalanche de restrictions budgétaires. À court terme, les pharmaciens savent bien qu’ils ont davantage à attendre des remises biosimilaires et hybrides que des nouvelles missions pour reconstituer leurs trésoreries. Certains confrères estiment même, et c’est leur droit, qu’ils ont suffisamment de missions et n’en veulent plus de nouvelles. Le temps passé, l’investissement financier et la formation des équipes représentent des enjeux importants, que ne compensent généralement pas la trop faible rémunération des nouvelles missions.
Pour autant, l’intérêt de la profession demande de rester mobilisé sur ce front. Rappelons-nous combien d’années, d’arguments et de textes officiels ont été nécessaires pour voir poindre à l’officine des missions aujourd’hui régulièrement pratiquées, telles que la vaccination, certains dépistages et autres entretiens. Ces actes confortent l’officine en tant que « hub de santé » accessible pour tous les patients. Facteur d’attractivité pour les nouvelles recrues, l’engagement dans les missions est aussi le meilleur garant de notre légitimité de professionnels de santé, sur laquelle se construira le trafic de demain en pharmacie. Dans le monde d’Amazon et de l’IA, être distributeur de médicaments n’est plus (mais l’a-t-il déjà été ?) suffisant pour promouvoir notre valeur ajoutée.
Pour un essor de la pharmacie clinique
En réalité, nous ne sommes qu’au début, ou au mieux à mi-chemin, d’une voie sur laquelle nos amis québécois ont été devanciers : l’émergence d’un pharmacien clinicien. La pharmacie clinique n’est pas une annexe de nos fonctions mais une reconquête de notre cœur de métier tourné vers le patient. Au vu des évolutions actuelles, nous risquons de nous retrouver dans l’impasse si nous ne saisissons pas ce mouvement. C’est en allant, à 20 000 officines, chercher cette valeur ajoutée que nous pourrons porter l’essor de ce métier. À chacun(e) naturellement de définir ses priorités. L’essentiel est de monter à bord et les manières d’embarquer sont nombreuses. Le pharmacien clinicien peut développer ses compétences dans l’analyse, la conciliation, l’observance, réaliser des plans de prise ou des bilans de médication, gérer la préparation des doses à administrer (PDA) en Ehpad et en ville, participer au développement de la télémédecine, contribuer à l’essor de l’interprofessionnalité... Il se dirige vers plus de qualité et de certification afin de répondre aux défis futurs et aux attaques des acteurs extérieurs (GMS, plateformes de vente en ligne…). Il adhère volontiers à un groupement pour optimiser sa gestion et libérer du temps pour ses rôles de soignant et de manager, entraînant son équipe à engager un dialogue proactif avec les patients.Dans les zones de déserts médicaux, le pharmacien peut être un « guichet d’entrée » qui permet de traiter les symptômes immédiats et de rediriger, si nécessaire, les flux vers les médecins ou les urgences. D’autres propositions peuvent encore alimenter le PLFSS 2025, en manque de mesures fortes sur l’accès aux soins : permettre au pharmacien de délivrer sans ordonnance des substituts nicotiniques, d’effectuer les vaccinations du voyageur, de nouveaux dépistages…
Vers un partage de la valeur
Pour l’État, simplifier le parcours de santé, via un panel élargi de missions officinales, répond au double enjeu de l’accès aux soins de proximité et du virage préventif. Avec des gains d’efficience à la clé pour un système qui pendant trop longtemps n’a misé que sur le tout-curatif. Car en développant ses compétences cliniques, le pharmacien aide à prévenir des pathologies et leurs complications, ainsi qu’à réduire l’inobservance et la iatrogénie - fléaux dont l’addition se paie en vies humaines et milliards d’euros perdus. Dans ce contexte, rémunérer des missions officinales quelques dizaines de centimes ou quelques euros n’est ni équitable ni digne de la valeur générée. L’acte intellectuel du pharmacien doit être rétribué. En proportion de l’investissement professionnel et des responsabilités engagées, il est raisonnable de considérer qu’un acte pharmaceutique ne peut être valorisé en dessous de 15 euros - un minimum dans le contexte actuel, ce montant étant à réajuster régulièrement en prenant en compte l’inflation.
Pour faire entendre sa voix et sa valeur, l’officine a la force de son maillage mais aussi son corollaire : sa fragmentation en multiples entités. Des entités paradoxales aux yeux du pouvoir, puisqu’entreprises privées mais dotées de fonctions essentielles à la santé publique. Cette nature en fait la cible des appétits spéculatifs privés, mais aussi la victime de l’hyper-régulation par les baisses de prix publics, qui tuent à petit feu l’économie officinale. Or, ce sont précisément des honoraires majorés et des missions correctement rémunérées qui permettraient à l’officine de résister au vent de la financiarisation, tout en contribuant à l’équilibre des comptes publics.