Ces temps-ci, il n’est question que de contenir le dérapage des dépenses de l’Assurance Maladie. Prisonnier d’une logique comptable annuelle, notre système de santé semble souffrir d’un syndrome de repli, alors qu’il lui faudrait ouvrir de nouvelles perspectives en matière de prévention, de qualité des soins, d’interprofessionnalité… Les tarifs indigents récemment consentis aux préparations magistrales de sertraline le confirment : l’heure est encore aux économies de bout de chandelle. Pourtant, les vieilles mauvaises recettes ne font pas aujourd’hui de meilleures soupes qu’hier. Dans une économie du « moins », il n’est pas raisonnable de demander toujours « plus » à ses effecteurs. Or, sans professionnels de santé libéraux qui investissent et s’investissent, quel avenir pour la santé ? Et comment investir sans visibilité pluriannuelle ?
Un exercice d’équilibriste
Pour se projeter économiquement, les pharmaciens ne peuvent pas se contenter des missions de santé publique. Le revenu de l’officine reste indexé aux trois quarts sur les quantités de médicaments vendu (en cumulant marge réglementée, honoraires à la boîte et remises génériques), comme le rappelle la Cour des Comptes dans son rapport de mai 2025 sur la sécurité sociale. La rémunération officinale totale liée à l’ordonnance s’est établie à 5,567 milliards d’euros en 2024 selon IQVIA (+2% vs. 2023). En comparaison les « nouvelles missions », bien qu’en nette progression, ne pèsent encore qu’une paille : 105 millions d’euros en 2024 dont la moitié générée par la vaccination grippe et un quart par les rappels vaccinaux. Préserver un exercice rentable ressemble à un exercice d’équilibriste, entre les charges croissantes (salaires notamment), la pression sur les marges liées aux médicaments (part croissante des produits onéreux, diminution des remises génériques en 2024) et la nécessité d’investir pour développer les missions.
Des freins systémiques
La déprescription ne sauvera pas l’officine mais l’enfoncera un peu plus, si elle ne s’accompagne pas d’un cadre de rémunération calibré. D’autant qu’en lieu et place d’incitations à la dispensation vertueuse, les tâches s’ajoutent aux tâches. Un pied sur le frein, le pharmacien doit jouer au vigile anti-fraude pour réduire la facture des médicaments onéreux - faute de quoi il s’expose à des demandes d’indus, parfois considérables et trop souvent injustifiés. Un pied sur l’accélérateur, il est sommé de poursuivre sa croisade pour la substitution générique, permettant à l’Assurance Maladie d’économiser 1,2 milliard d’euros par an. Et quand il voudrait contribuer davantage à l’équilibre des comptes sociaux, le pharmacien est freiné dans son élan, que ce soit par la réticence des pouvoirs publics à élargir le répertoire des génériques, biosimilaires et hybrides… ou leur retard incompréhensible à doter la préparation des doses à administrer (PDA) d’un cadre légal et financier, lequel serait pourtant hautement bénéfique à la pertinence des soins.
Une mobilisation collective à poursuivre
Dans ce contexte, menons un combat uni sur les sujets vitaux pour l’avenir de la profession, tels que la pérennité des remises génériques. Exigeons une trajectoire de revalorisation des honoraires cohérente avec la réalité du réseau et l’évolution des besoins de santé. À la veille des discussions du PLFSS et à l’approche de 2027, appelons enfin nos dirigeants politiques à sortir d’une vision dangereuse qui ne perçoit que les coûts et non la valeur créée. Car ne pas investir dans le réseau officinal, c’est le laisser mourir à petit feu. Sachons nous faire entendre et rendre visible le retour sur investissement généré par l’officine au quotidien, via la lutte contre l’inobservance, la prévention des accidents iatrogènes ou encore le nombre de consultations médicales et de visites inutiles aux urgences épargnées.
15 leviers pour agir individuellement
En parallèle, mobilisons-nous individuellement et localement pour faire vivre la diversité de nos pratiques, dynamiser la coopération interprofessionnelle et faire évoluer nos entreprises officinales. Depuis plus de trois mois, l’UNPF publie chaque semaine sur les réseaux sociaux des suggestions d’actions à mettre en œuvre pour prendre en main notre destin. Voici le florilège de ces propositions, qui s’appuient sur des entretiens avec des experts de l’officine. N’hésitez pas à réagir, commenter, proposer d’autres pistes…
Comment agir maintenant pour préparer demain ?
FONDAMENTAUX
1. Bien choisir sa pharmacie : le choix d’une implantation et d’une typologie d’officine adaptées à vos aspirations est le gage d’un exercice motivant.
2. Mettre en place la démarche qualité, c’est s’outiller pour relever les défis actuels et à venir de l’officine, en optimisant son fonctionnement.
3. Optimiser la gestion des compétences : parce que la ressource humaine est précieuse, confier les bonnes tâches aux bonnes personnes est une priorité.
PILOTAGE
4. Progresser en tant que chef d’entreprise : cette mission ne s’apprend pas à la fac de pharmacie, mais compte plus que jamais pour affronter les bourrasques économiques.
5. Obtenir des données actionnables sur les segments en (dé)croissance évite de naviguer à vue et permet de gagner en efficience commerciale.
6. Développer les segments rentables : l’analyse des données peut révéler des gisements de marge parfois sous-exploités, comme la compression veineuse.
DISPENSATION
7. Être proactif au comptoir : poser des questions au patient, aller au-devant de besoins non exprimés, c’est une chance de gagner en performance et en légitimité.
8. Optimiser le parcours patient à l’officine : mieux répartir les tâches contribue à servir davantage de patients dans un temps maîtrisé.
9. Préparer les dispensations en amont (par envoi des ordonnances complexes via messagerie sécurisée) permet de gagner du temps et de la qualité de service.
MISSIONS
10. Travailler les missions comme un projet d’entreprise (planning, communication, aménagement des locaux, formation…) permet de les déployer de manière optimale.
11. Choisir des missions prioritaires : mieux vaut mener deux missions pleinement que cinq a minima.
12. Adopter une approche populationnelle : pourquoi ne pas prioriser des missions répondant à des enjeux spécifiques sur un territoire donnée ?
13. Rentabiliser les missions effectuées suppose de les structurer (temps, déroulé), à l’image de l’entretien femme enceinte, qui génère également fidélité et conseil associé.
INNOVATION
14. Capitaliser sur l’interprofessionnalité, en rejoignant par exemple une CPTS, facilite le dialogue et la coordination entre professionnels de santé.
15. Participer à des expérimentations en santé publique (comme OSyS sur le premier recours) permet aux pharmaciens de montrer aux autorités la valeur de leurs actions.