Il y a de bonnes nouvelles qui s’accueillent avec une satisfaction teintée de prudence. La marche arrière du gouvernement sur l’article 30 du PLFSS pour 2023 en fait partie. Une quinzaine de jours seulement s’est écoulée entre la révélation du texte et sa modification annoncée le 17 octobre. Entretemps l’ensemble de la profession s’était mobilisée contre ce projet délétère d’appels d’offre sur les génériques, qui visait à ne rembourser que la molécule la plus avantageuse économiquement, au détriment évident de la pluralité d’une offre garante de continuité d’approvisionnement et d’indépendance sanitaire.
Une pétition lancée par les syndicats et relayée par nombre d’entre vous a recueilli près de 10 000 signatures. Bravo et merci à toutes et à tous pour votre réactivité qui a permis d’éviter le pire ! Une brèche béante aurait été ouverte dans le pacte gagnant-gagnant entre l’officine, incitée financièrement à la substitution, et la Sécurité sociale qui économise chaque année plus de 2 milliards d’euros grâce aux génériques.
Unis, nous sommes plus forts
Au soulagement succède l’analyse. Principale leçon : lorsque les pharmaciens sont unis, comme ils l’avaient été en 2014 contre le projet gouvernemental de déréglementation des professions libérales, ils savent se faire entendre. Cet esprit d’unité sera nécessaire lors des prochaines étapes de
négociation conventionnelle en 2023 autour de notre rémunération.
Viennent ensuite les questions. Pourquoi de telles idées arrivent-elles à germer sous la plume de nos législateurs ? La recherche éperdue d’économies ne justifie pas tout, qu’elle passe par des velléités d’inspiration anglo-saxonne (vente à l’unité, mise en concurrence avec les GMS régulièrement déboutée mais qui reste hélas au catalogue des idées-boomerangs) ou par une tentation d’hyper-maîtrise du budget médicament à l’allemande. Le
référencement sélectif des médicaments est momentanément enterré mais fera tout de même l’objet d’un rapport qui en évaluera « l’intérêt, la faisabilité et les potentielles limites […] en vue d’en proposer une disposition dans un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ».
Les rapports ne légifèrent pas mais ils inspirent et ce n’est pas toujours de bon augure. Souvenons-nous du rapport de la Cour des Comptes publié en septembre 2017, qui jugeait le nombre de pharmacies deux fois trop élevé en France, et dont plusieurs préconisations ont inspiré les réflexions du président Emmanuel Macron, notamment sur le regroupement de pharmacies et la vente de médicaments sur Internet.
En jeu : la qualité de notre exercice officinal
Proposer des mesures qui porteraient un coup violent à l’équilibre économique de l’officine semble totalement antinomique avec l’objectif, affiché à juste titre, de sauvegarder l’accès aux soins pour tous. La
désertification pharmaceutique n’est plus un épouvantail que l’on agiterait pour se faire peur mais une menace réelle, lorsque
15 000 professionnels et 30% des étudiants manquent à l’appel. C’est donc bien de renforcement que le réseau a besoin, à l’heure où tous, population et gouvernants, comptent sur les pharmaciens pour endosser un nombre croissant de missions allant de la prévention aux premiers soins en passant par l’accompagnement des malades chroniques, permettant ainsi de libérer du temps médical.
On n’enterrera hélas pas si facilement les fausses bonnes idées. Restons sur nos gardes, fermement attachés à notre indépendance et au maillage qui sécurisent le circuit du médicament et l’accès de nos concitoyens à la santé. En pleine marche vers la
certification périodique obligatoire à compter de 2023 pour les pharmaciens, ayons à cœur de défendre notre vision de la qualité du service rendu en pharmacie.
L’évolution vers le cabinet pharmaceutique, naguère avant-gardiste, devient le tournant que prend toute notre profession. Les nouvelles missions, qu’il s’agisse des entretiens pharmaceutiques, du dépistage ou de la vaccination, ne sont pas des fonctions satellites mais une part intégrante de notre cœur de métier. D’autres missions que nous effectuons déjà attendent de façon urgente un cadre professionnel, juridique et financier : PDA, dispensation protocolisée, orientation et prise en charge des maux du quotidien…
Sachons nous faire entendre d’une façon claire, construite et exigeante pour entériner ce virage professionnel aussi passionnant qu’indispensable.
Jeudi 3 novembre 2022