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Promouvoir un exercice libéral et responsable

Coralie Lavenu et François Rohmer : la ruralité au cœur, la pharmacie dans l’âme

" Le samedi après-midi, je suis le seul pharmacien accessible dans un rayon de 50 kilomètres "

Titulaires des deux officines de Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne), ville thermale de 2 000 habitants en pleine campagne, ces pharmaciens du dernier kilomètre sont aussi attachés au travail bien fait qu’à la qualité de la relation humaine qui donne du sens à leur exercice. Une équation de plus en plus complexe à l’heure du manque de médecins et des difficultés de recrutement.
 
Ses eaux thermales faisaient déjà le bonheur des Gallo-Romains. La jolie Bourbonne-les-Bains est le poumon commerçant d’une vaste zone rurale à cheval sur la Haute-Marne, les Vosges et la Haute-Saône. Coralie Lavenu et François Rohmer, couple formé sur les bancs de l’université de Strasbourg, tiennent les deux officines de cette bourgade de 2 000 âmes. « Du lundi matin au samedi soir, il y a toujours une pharmacie ouverte. Le samedi après-midi, je suis le seul pharmacien accessible dans un rayon d’au moins 30 kilomètres », témoigne François Rohmer.
 
« Quand j’ai racheté en 2006, nous étions trois pharmaciens dans la même rue », raconte Coralie Lavenu. En 2011, elle s’associe à l’un de ses confrères pour racheter la troisième officine avec l’aval de son titulaire, la fermer et ainsi stabiliser la situation économique des deux restantes. D’abord adjoint de son épouse, puis gérant à son tour, François Rohmer déménage en 2020 dans des locaux plus spacieux à l’orée de la ville.
 
« Le Covid nous a recentrés sur le médical »
 
Être pharmacien en 2022, c’est selon François Rohmer passer l’essentiel de son temps au comptoir, « sinon vous êtes comme un pilote de Formule 1 qui ne saurait pas changer une roue. Il faut être extrêmement polyvalent ». « Le Covid nous a recentrés sur l’aspect médical de notre métier », ajoute Coralie Lavenu. Une responsabilité croissante : « Nous voyons de plus en plus de personnes qui ont besoin d’être orientées pour de petites urgences ».
 
« Un jour, illustre son époux, un homme se présente la cuisse sanguinolente, victime d’un méchant coup de disqueuse. On ne voyait pas cela il y a cinq ans. Chaque jour ou presque, on nous demande quasiment de faire du diagnostic. C’est clairement lié au déficit de médecins ». De quatre généralistes il y a cinq ans, Bourbonne n’en compte plus que deux. La génération de médecins qui faisaient des sutures au cabinet jusqu’à 21 heures n’existant quasiment plus, c’est vers leurs pharmaciens que se tournent les habitants.
 
Cherche adjoint, désespérément
 
Outre le manque de médecins, la pénurie de personnel représente un problème « extrêmement contraignant » pour les deux pharmaciens, parents de trois enfants. « Nous ne prenons pas plus de deux semaines de congés par an », indique Coralie, confrontée au départ prochain de l’une des deux préparatrices qui exercent à ses côtés. Pour François, la recherche d’un « adjoint de confiance » tourne à la mission impossible dans cette enclave de verdure à 50 kilomètres de Chaumont, en dépit d’un outil de travail « aux dernières normes », d’« un exercice passionnant » avec « des gens très agréables » et d’un « cadre de vie magnifique ». Recruter des préparateurs n’est guère plus simple. Et trouver des remplaçants s’apparente à la quête du Graal.
 
Ce manque de combattants complexifie aussi le développement des nouvelles missions. « Nous sommes bloqués par le manque d’adjoints », confirme François, qui s’est pourtant, tout comme Coralie, formé à la vaccination et au dépistage du Covid-19, mais avec la nécessité de fermer leur officine lors des sessions de formation.
 
Un besoin de clarifier le rôle du pharmacien
 
Quant aux nouveaux rôles autorisés par la convention signée le 9 mars 2022, Coralie y voit une reconnaissance un peu factice : « Chaque fois qu’une nouvelle convention est signée, c’est la même chose, on nous dit que nous sommes importants, mais sans nous allouer les moyens de mettre en place les nouvelles missions ». François déplore quant à lui un texte un peu fourre-tout. Résolu à investir dans l’innovation, comme il l’a déjà fait avec la téléconsultation, il reste confiant pour sa profession mais à la condition d’une véritable reconnaissance, qui passe selon lui par une clarification du rôle du pharmacien.
 
« On a le sentiment que nos instances entretiennent un certain flou », citant les biosimilaires et certaines dispositions nouvelles : « Peut-on substituer ou pas ? Pour beaucoup de pharmaciens, intellectuellement en tout cas, ce n’est pas clair ». Naturellement, redéfinir le périmètre des missions officinales a aussi un impact sur les médecins, les infirmiers… « Des interactions humaines qui ne sont pas assez prises en compte par nos autorités », selon lui, au risque de créer des frictions, par exemple sur la vaccination ou la prise en charge des cystites. Et ce ne sont pas les complexes CPTS qui vont régler cela d’un coup de baguette magique. Vu d’ici, les décisions parisiennes semblent quelque peu déconnectées du terrain. « On a parfois le sentiment d’être corvéable, qu’on nous donne des missions non rentables ou que les autres professions ne veulent plus faire », suggère Coralie. Vous avez dit dépistage du cancer colorectal ? Elle s’accroche à son optimisme, du moins tant que la dispensation à l’unité des médicaments n’est pas généralisée : « Ce serait rédhibitoire. Je pense que j’arrêterais. Je ne suis pas là pour compter des comprimés et c’est en contradiction avec les exigences de traçabilité. »
 
Il semble urgent de remettre du « sens » dans le métier et de refonder vraiment le système de santé « autour du patient » au lieu de le réformer par petites touches successives, selon Coralie et François. Joignant le geste à la parole, ils nous quittent pour aller servir les premiers patients de l’après-midi.

Vendredi 5 août 2022
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