CHRISTOPHE LE GALL, président de l’Union nationale des pharmaciens de France (Unpf), ÉRIC MYON, vice-président, et VINCENT KUNTZ, trésorier, évoquent les changements qui bouleversent le quotidien de ces professionnels de santé, dont le métier est en pleine évolution, notamment en période de crise sanitaire.
En quelques mots, qu’est-ce que l’Unpf ?
Christophe Le Gall. D’abord, il faut dire que c’est le plus ancien des syndicats représentatifs de la profession. Il a été créé au début du 19e siècle.
Éric Myon. Il regroupe la majorité des pharmaciens libéraux entrepreneurs et indépendants.
Vincent Kuntz. Et il a vocation à promouvoir et à défendre le travail des pharmaciens sur le territoire national.
Quel est son rôle le plus important aujourd’hui ?
C.L.G. Celui de représenter les pharmaciens bien sûr. Vous savez, le pharmacien a longtemps été assimilé à un distributeur de médicaments. Aujourd’hui, il va au-delà et rend des services différents, comme la vaccination ou le dépistage au cœur de cette crise sanitaire ou, auparavant, lors des campagnes de vaccination de la grippe. Son rôle est en train d’évoluer.
É.M. D’ailleurs, il faut défendre l’évolution clinique du métier. Comme il faut défendre la possibilité de permettre au pharmacien de "prescrire" des soins, des actes, des adaptations posologiques, de vendre des services d'accompagnement santé directement auprès des patients ou des mutuelles...
V.K. cela s’inscrit dans notre rôle d’accompagnement des pharmaciens de notre pays, en particulier de tous nos adhérents mais au-delà aussi. C’est aussi pour cela que nous nous ouvrons aux étudiants et aux futurs étudiants.
Quel est le premier travail du pharmacien aujourd’hui ?
C.L.G. Nous sommes, avant tout, des acteurs de santé à part entière. Nous ne sommes plus là seulement pour distribuer des médicaments. Parce que, sans être des médecins, nos six années d’études nous permettent d’être de bons prescripteurs de médicaments et donc de prodiguer, dans la mesure du possible, des renseignements utiles à nos clients.
É.M. Totalement oui, car le lien de santé et de protection des patients, notre capacité à les accueillir sans rendez-vous, cela reste essentiel.
V.K. Il arrive certains jours que l’on ne sache pas à quoi on sert… Mais l’actualité nous apporte chaque jour la réponse. Nous avons un rôle de présence et d’écoute auprès des patients qui en ont besoin. Le patient est au cœur de tout.
Aujourd’hui, vous sentez-vous plus « commerçant » qu’acteur de santé publique ? C’est un peu ce que l’on peut vous rapporter…
C.L.G. Les deux puisque nous vivons aussi du commerce, de ce que nous vendons. Mais, c’est le plus important, nous ne vendons pas n’importe quoi. Nous sommes sans doute les commerçants qui accompagnons le plus nos « clients », si l’on peut dire, dans leur démarche d’achat.
V.K. Je me sens aussi un peu les deux c’est vrai: acteur de santé publique, et encore plus depuis le début de la crise Covid ; mais aussi chef d’entreprise et commerçant.
É.M. Pour moi c’est un peu différent. Nous sommes des acteurs de santé tout court. Nous sommes des libéraux capables de gérer nos patients. La santé publique, c’est un autre univers, qui renvoie notamment à la prévention et relève du Ministère.
Qu’est-ce que la crise Covid a changé pour vous ?
C.L.G. Très simple : désormais, toute la population est amenée à pousser la porte d’une pharmacie. Avec les tests et la vaccination, nous croisons des personnes que nous ne connaissions pas. La prise en charge est différente aussi. Nos officines doivent désormais s’équiper de locaux et se préparer à de nouvelles missions. Je l’ai déjà dit à propos de la vaccination de masse dont on parle tant : à partir des 21 000 officines réparties en France, nous sommes capables de vacciner 500 000 personnes par jour. C’est déterminant. Plutôt que de créer d’immenses « vaccinodromes », le Gouvernement aurait été bien avisé en s’appuyant sur le maillage de proximité que forment les pharmacies…
É.M. Pour moi, le coronavirus nous a clairement repositionnés. Nous avons été les seuls à gérer les masques pour les professionnels de santé et les patients, nous avons dû nous occuper des tests antigéniques et des vaccins… C’est la preuve que nous sommes des professionnels de santé. La Covid a mis en lumière notre valeur ajoutée.
V.K. J’ajoute qu’on a surtout dû apprendre à exercer « au doigt mouillé », ce qui a changé la gestion du quotidien ! Chaque soir, on a eu affaire à une nouvelle stratégie qui changeait encore le lendemain… C’est très usant. La crise nous a amenés à nous remettre en question : quelle est notre utilité ? Comment rassurer les gens ?... Maintenant, la Covid est intégrée à notre exercice professionnel quotidien.
Mais ne trouvez-vous pas quand même que le métier est un peu vieillot ? La pharmacie d’officine ne doit-elle pas se transformer ?
C.L.G. Mais c’est déjà le cas comme je viens de le dire à propos de la crise sanitaire! Nous faisons des tas de choses que nous ne faisions pas avant. Et nous avons démontré, si besoin était, que nous pouvions être les utiles relais de proximité de la stratégie médicale mise en place dans le pays.
É.M. « Vieillot », c’est surtout l’image qu’en ont les gens… En réalité, notre métier, c’est aussi de gérer des stocks pour éviter des situations de rupture, accompagner la vaccination… Nous avons un métier plein de ressources.
V.K. Nous sommes face à un nouveau métier : il faut ajouter du numérique, de l’intelligence artificielle - encore considérée comme un gros mot. La machine va calculer pour nous, dégager du temps pour nos nouvelles missions, pour nos patients…
Justement, quels sont les bons et les mauvais côtés de la digitalisation ?
É.M. Le bon côté, c’est qu’on peut travailler de façon dématérialisée sur des ordonnances et préparer le traitement. On peut aussi échanger par mail, effectuer des opérations de téléconsultation, mettre en place des entretiens avec la Sécu... « Physiquement », on est déjà « sortis du comptoir » mais il faut sortir plus loin et plus vite. Après, nous restons des gens pratico-pragmatiques : depuis quelques jours, les pharmacies peuvent acheter des pubs sur Google. Avec le risque, c’est de voir le client aller vers la pharmacie qui a dépensé le plus pour être visible mais qui n’est pas forcément la meilleure…
V.K. La capacité à nous libérer du temps est une bonne chose. C’est un investissement parfaitement amortissable qui peut nous simplifier le quotidien. Ces nouveaux logiciels demandent juste une mise en place mais sera 100 % sécuritaire et interopérable pour nous. Le mauvais côté tient surtout à la résistance au changement, à la peur de l’inconnu, avec des gens qui ne veulent pas se former…
C.L.G. Il faut savoir que notre profession est la plus digitalisée du monde. Nous investissons en la matière depuis plus de 40 ans. Il faut faire évoluer la communication sur ce sujet mais le conseil de l’ordre des pharmaciens nous bloque, au nom d’une déontologie sans doute un peu dépassée... Une meilleure communication nous permettrait de mieux mettre en évidence notre fonctionnement.
On parle beaucoup de regroupements pour les pharmacies, qu’en pensez-vous ?
C.L.G. C’est bien à partir du moment où elles sont surreprésentées sur un territoire. Il faut à la fois harmoniser l’ancrage territorial, à savoir le fait que la population, quel que soit le lieu d’habitation, puisse accéder facilement à une officine, et le regroupement judicieux, là où le constat d’une surreprésentation saute aux yeux.
É.M. Pour ma part, ce que je crains, c’est un modèle à l’anglo-saxonne ou à l’américaine, avec des multinationales qui monopolisent le marché au détriment des pharmaciens propriétaires. En revanche, si se regrouper permet de minimiser les coûts, c’est positif. C’est un moyen d’être plus forts tout en gardant une indépendance d’action.
V.K. Seuls, on n’arrive pas à grand-chose. Se regrouper, c’est dans l’intérêt économique de la profession. Et je suis d’accord pour dire qu’il faut aussi étudier la question en fonction des régions et des contextes locaux.