Que retenez-vous de l’année écoulée pour l’exercice officinal ?
Christophe Le Gall : Ce qui prédomine dans notre profession est un ras-le-bol, alimenté par le sentiment d’avoir été utilisés. De nouvelles missions nous ont été confiées mais sans les moyens humains et financiers de les mettre en œuvre. Il a fallu vacciner et dépister en masse pour endiguer la crise sanitaire, tout en assurant nos autres missions, les horaires extensifs et les gardes… le tout avec un personnel déficitaire, des médicaments manquants et des charges qui augmentent.
Éric Myon : Notre profession a su se montrer d’une agilité hors norme pour affronter une épidémie majeure. Elle est désormais censée faire l’impossible pour maintenir l’accès de la population à des soins et un conseil personnalisé, partout sur le territoire, alors que la pénurie de médecins s’aggrave. Plus d'une personne sur deux
[1] en France dit avoir un accès compliqué aux services de soins là où elle vit…
Vincent Kuntz : À force de faire plus avec moins, d’être contraints de s’adapter au gré des urgences et sans visibilité, les pharmaciens sont fatigués et se sentent insuffisamment soutenus.
La nouvelle convention signée en 2022 marque pourtant un tournant historique pour la reconnaissance du rôle de santé publique du pharmacien…
V.K. : C’est vrai et l’UNPF plaide depuis des années pour cette évolution clinique. Mais il s’agit d’une transformation profonde du métier de pharmacien, qui ne peut s’effectuer au rabais.
C.L.G. : Les rétributions pour les nouvelles missions sont très insuffisantes. Elles ne permettent pas de compenser les ponctions effectuées sans préavis sur nos marges à chaque nouveau round budgétaire. Le PLFSS 2023 a brutalement mis fin aux illusions de reconnaissance, car ce qui nous est donné d’une main nous est retiré de l’autre.
É.M. : La mobilisation de toute la profession a fort heureusement permis le retrait de l’article 30 et son système de référencement inique qui aurait déstabilisé toute l’économie officinale, mais en contrepartie nous perdons les produits de contraste, nos marges sur la gamme blanche sont désormais encadrées
[2], tandis que les baisses de prix massives se succèdent, au même rythme que les pénuries.
Quelles sont les priorités de l’UNPF en 2023 ?
C.L.G. : Promouvoir la santé économique de l’officine sera notre priorité N°1. Après des années comptables 2021 et 2022 exceptionnelles, boostées par les missions Covid, il va désormais falloir adapter nos ressources à un monde nouveau, avec des baisses tarifaires, l’inflation des prix de l’énergie... La négociation de l’avenant économique à la convention pharmaceutique au second semestre 2023 sera donc un rendez-vous primordial et l’UNPF sera particulièrement mobilisée.
V.K. : En 2021, encore près d’un quart des pharmacies avaient une évolution négative de leur marge en valeur selon le cabinet KPMG, signe évident de fragilité. Certaines sont même en risque avec des trésoreries négatives. La pérennité du réseau n’est pas assurée si la rémunération ne suit pas.
É.M. : De la rémunération équitable de notre cœur de métier dépend la capacité des pharmaciens à assurer un exercice de qualité et à se positionner vraiment comme professionnels de santé. Le moment est venu de dépasser les clivages obsolètes et de nous entraider, entre pharmaciens et entre professions de santé, pour parvenir collectivement à sauver notre système de soins de ville.
Beaucoup de pharmaciens ont de grandes difficultés à recruter, certains ont même été contraints de réduire leurs horaires d’ouverture par manque de personnel. Que prône l’UNPF à ce sujet ?
C.L.G. : Notre seconde grande priorité, avec l’économie, c’est l’attractivité de la profession. Nous faisons un métier magnifique, aux avant-postes de l’innovation thérapeutique et technologique, au carrefour des problématiques de santé des Français… Pourtant, les jeunes s’en détournent. Il est impératif de décomplexifier les voies d’accès aux métiers de l’officine, de recréer un chemin attractif entre les bancs de l’université et le comptoir, tant pour les pharmaciens que les préparateurs.
É.M. : Faute d’un plan volontariste pour attirer les pharmaciens, c’est l’accès de nos concitoyens à la santé qui est menacé. Nous devons communiquer à grande échelle pour faire connaître toute l’étendue de nos missions à la population et aux étudiants.
V.K. : La dimension clinique de notre métier, concrétisée par une posture bien plus proactive vis-à-vis des patients, doit être mise en avant car elle est porteuse de sens pour les jeunes générations, comme pour les pharmaciens en exercice.
Justement, l'UNPF a souvent été parmi les premiers acteurs à défendre la pharmacie clinique en officine mais aussi la qualité officinale. Sur quels autres sujets comptez-vous vous démarquer ?
V.K. : Le thème de l’écoresponsabilité nous tient particulièrement à cœur, nous y voyons une opportunité de mieux intégrer la pharmacie d’officine dans son écosystème et d’être en pointe d’un système de santé qui respecte les personnes et leur environnement. Engager l’officine dans une démarche de responsabilité sociétale (RSE) est aussi de nature à stimuler l’adhésion des nouvelles recrues, très concernées par ces questions.
É.M. : Nous sommes très attachés à la préparation, un art ancestral qui n’a jamais été autant d’actualité. Il a fallu les ruptures d’amoxicilline pour que tout le monde se souvienne de l’intérêt des préparations magistrales… Or, elles contribuent non seulement à pallier les difficultés d’approvisionnement mais aussi à apporter à de nombreux patients des réponses de santé personnalisées et sûres. Tous les pharmaciens désireux de développer cette activité dans le respect des bonnes pratiques peuvent compter sur le soutien de l’UNPF.
C.L.G. : Enfin, nous sommes trop seuls aujourd’hui à exiger un cadre précisant la mission et la rémunération du pharmacien pour la préparation des doses à administrer (PDA). Cette tâche est essentielle pour sécuriser le circuit du médicament dans les Ehpad. Elle peut et doit être maintenue à un niveau local, via la reconnaissance du double rôle du pharmacien, tant dans l’organisation de la PDA que la dispensation du bon médicament, à la bonne dose, sous la bonne forme et à la bonne personne.
Un dernier mot pour conclure et se projeter vers l’avenir ?
É.M. : Soyons vigilants et combatifs, fiers de notre pratique professionnelle et aussi exigeants pour défendre nos intérêts que nous le sommes pour protéger la santé de nos patients !
V.K. : N’ayons pas peur de faire rayonner notre expertise et de prendre le virage des nouvelles missions, mais sans transiger sur les moyens de les mener à bien sur le long terme.
C.L.G. : Il est temps pour les pharmaciens de relever la tête, de nous faire respecter et d’assumer pleinement notre légitimité en tant que professionnels de santé et acteurs incontournables du parcours de soins.
[1] : Selon un sondage Elabe pour « Les Echos » et l'Institut Montaigne
[2] : Cf. Article 31 du PLFSS 2023
Mercredi 1 février 2023