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Promouvoir un exercice libéral et responsable

Vente en ligne de médicaments : une réglementation inéquitable pour les acteurs français

Les pionniers français de la vente de médicaments en ligne déplorent la concurrence déloyale des “pure players” européens, qui s’affranchissent des règles très strictes prévalant dans notre pays. Cyril Tétart, adhérent de l’UNPF et président de l’Association française de la pharmacie en ligne (AFPEL) propose des pistes pour faire évoluer une réglementation devenue inéquitable. Un combat qui rejoint celui de l’UNPF depuis 2015 pour assouplir les normes sur les locaux délocalisés.

La décision du tribunal administratif de Caen à l’égard de Philippe Lailler le 17 février dernier[1] est une douche froide pour les pharmaciens qui pratiquent la vente de médicaments en ligne ?
Le tribunal a estimé que le médicament n’était « pas une marchandise banale » et ne pouvait pas être manipulé dans un entrepôt déporté à plusieurs kilomètres. La loi précise depuis 2018[2] que des lieux de stockage peuvent se trouver « à proximité de l'officine (NdR : un léger assouplissement par rapport à la notion précédente de « proximité immédiate »), dans les limites de son quartier d'implantation ». Cette notion de quartier est très vague et sujette à toutes les interprétations.
Cette décision n’est pas un coup d’arrêt mais une confirmation de la complexité d’exercer cette activité en France. Au final, la solution la plus sûre pour pouvoir manipuler des médicaments hors de la pharmacie est la création d’une centrale d’achat pharmaceutique (CAP), autorisée par un décret du 19 juin 2009[3]. Mais c’est aussi l’option la plus coûteuse. Rappelons que la loi impose la présence d’un pharmacien par tranche de 1,3 million d’euros de chiffre d’affaires.
 
N'est-il pas souhaitable de faire évoluer la réglementation française ?
Le problème est qu’aujourd’hui, si vous souhaitez développer la vente de médicaments en ligne, la PDA ou les préparations magistrales en réalisant un certain volume, il est quasiment impossible de le faire dans votre officine. Vous serez rapidement à l’étroit. Il y a effectivement une sorte de paradoxe à ce que la loi autorise un entrepôt contigu à la pharmacie, même s’il n’est pas aux plus hautes normes, tandis qu’elle bloque un site comme celui de Philippe Lallier, certes distant de 3,6 kilomètres de l’officine mais d’un très haut niveau de qualité et de technicité.
Nous comprenons bien qu’il faille respecter la réglementation française. Ce qui est déloyal en revanche, c’est que les pharmaciens français aient à affronter la concurrence effrénée de pays beaucoup plus libéraux en matière de vente en ligne de médicaments. L’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et la Suisse réalisent à eux quatre plus de la moitié de cette activité en Europe. Depuis décembre 2012, l’Europe impose aux pays membres d’autoriser le e-commerce de médicaments, mais chaque pays édicte ensuite ses propres règles. 
 
Il y a donc une distorsion entre les règles du jeu qui s’appliquent aux sites français et aux sites étrangers ?
Tout à fait. Si votre pays a des règles coercitives, comme en France, vous devez les appliquer, alors que des sites néerlandais, allemands, belges ou suisses peuvent s’en affranchir. Ils peuvent avoir des entrepôts gigantesques en zones industrielles, ne se privent pas de faire de la publicité, des promotions, toutes choses interdites en France…
J’ai visité Shop Apotheke, l’un des plus gros sites de vente en ligne d’Europe, basé aux Pays-Bas. Derrière une pharmacie de quelques mètres carrés se trouve un entrepôt de 50 000 m2, totalement automatisé qui réalise plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires ! Ce sont aussi 8 000 m2 de bureaux, un service client avec des pharmaciens spécialisés par aires thérapeutiques… La moitié des trithérapies délivrées en Allemagne le sont par Shop Apotheke car ils ont de vrais spécialistes en virologie ! Ils avancent très vite et ont bien compris que la vente en ligne de médicaments n’était pas que de la logistique mais un service global aux patients.
La France, elle, prend un retard considérable. La vente en ligne y existe depuis dix ans mais les patients ne le savent pas ou en ont une mauvaise image tant elle est diabolisée, alors qu’ils ont par ailleurs totalement intégré le commerce omnicanal dans leur quotidien.
L’Ordre des pharmaciens propose sur son site une liste des sites Internet autorisés à vendre des médicaments, il est important de le faire savoir.
 
Que proposez-vous alors pour rééquilibrer la situation ?
Nous avons déjà fait obtenu avec l’AFPEL en 2021 le droit de faire du référencement payant (NdR : achat de mots clés sur Internet). C’est bien mais insuffisant pour combler notre retard de communication. Aujourd’hui nous plaidons pour un système dans lequel le pharmacien soit le tiers de confiance pour garantir aux patients la sécurité de la délivrance, quel que soit le canal de vente. Certaines dispositions de la réglementation française nous paraissent incontestables, notamment le fait de soumettre un questionnaire de santé au patient qui achète des médicaments en ligne. En revanche, il faut réfléchir à une évolution de la réglementation sur certains points.
 
Quelles sont les évolutions que vous appelez de vos vœux ?
Nous proposons de définir une “troisième voie” pour l’entrepôt logistique - moins contraignante que la centrale d’achat mais plus normée que le simple local de stockage - et de revenir sur les règles de proximité qui datent d’après-guerre, quand les moyens de transport et de communication n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui ! Une distance de 10 à 20 kilomètres entre l’officine et l’entrepôt semble raisonnable, surtout dans les grandes aires urbaines où disposer de grands locaux en centre-ville est quasiment impossible.
Si la présence d’un pharmacien responsable sur site est incontournable, la règle du pharmacien tous les 1,3 million d’euros de chiffre d’affaires nous paraît une aberration, très coûteuse et inutile.
Enfin, nous demandons l’uniformisation de la réglementation au niveau européen. Si Shop Apotheke, PharmaSimple ou DocMorris ont le droit de communiquer, un site français doit en avoir le droit également. À l’inverse, si la France exige des questionnaires de santé, les sites étrangers doivent également les faire remplir aux patients. Il est urgent que l’État français leur notifie ces obligations, ce qui n’est toujours pas le cas !
 
Que se passera-t-il si l’on ne fait rien, alors que les loups sont déjà dans la bergerie ?
Il ne faut pas se leurrer, demain des acteurs comme Amazon vont s’attaquer à la pharmacie en Europe. Si l’on se contente de délivrer des boîtes de médicaments, sans service, n’importe quel bon logisticien pourra le faire aussi bien voire mieux que nous. Nous devons montrer notre différence, comme nous l’avons fait pendant le Covid, avec réactivité et professionnalisme. La pharmacie moderne doit être capable de faire des entretiens pharmaceutiques, des bilans de médication, de la télémédecine, de livrer des médicaments… Un métier qui n’évolue pas, c’est un métier qui meurt, qui n’attire plus les jeunes. L’UNPF fait partie des trop rares représentants de la profession qui défendent la pharmacie de demain.
 
La bataille de l’e-commerce n’est donc pas perdue pour la pharmacie en France ?
Avec la vente en ligne aujourd’hui, nous pouvons non seulement garantir la provenance des produits mais également la traçabilité : tout est enregistré, chaque délivrance, chaque échange avec le patient. Et il est très facile pour les autorités de santé de vérifier que nous appliquons bien le nombre maximal de boîtes autorisées par délivrance pour certains produits (hypnotiques, AINS…). Il est possible de croire à l’avenir de la pharmacie en ligne en France, une activité réglementée, éthique, qui ne soit pas laissée aux “pure players” mais réalisée par les pharmaciens de proximité et apportant un vrai service aux patients.

Vendredi 17 mars 2023
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